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The Architects of Misfortune

La Vérité

de

Jean-Michel Daniau

L'histoire commence le 25 septembre 1962 lorsque Chuck « Pop » Mason disparaît du Flamingo avec en poche tout l'argent des paris du premier match Liston/Patterson… Il était arrivé à Las Vegas en 45 dans les valises de Bugsy Siegel pour y surveiller les investissements dans les casinos, mais quelques années plus tard, dégoûté par l'attitude de ses patrons vis-à-vis du partage des colossaux bénéfices, il préfère fuir, plein aux as mais la meute aux trousses.

Son côté play-boy à l'ancienne, genre Gable et ses rouleaux de biftons en font un sérieux séducteur, qui va disséminer sa semence sans compter lors de son permanent périple autour du monde. Vont naître de nombreux rejetons, mais seulement trois nous intéressent ici, Larrie, Frank et Mick tous nés en 1963. Larrie est le fils d'une hôtesse de l'aéroport La Guardia, conçu le jour du départ de Chuck pour le Canada. Mick est l'enfant adultérin de Lana, la femme de Billy Joe Mason, cousin à la vue basse et à la confiance aveugle qui accueillit le fugitif à Toronto. Frank, né à Wellington, Nouvelle Zélande, est le fruit des amours de Chuck et Daphné, fille d’Ivan Bootham, artiste local.

 

Les trois garçons grandissent sans se connaître et se rencontrent pour la première fois (les mystères du testament de Pop Mason!) lors des obsèques de leur père à Londres en 1978, ils ont 15 ans. On peut parler de « coup de foudre ». Ils jouent tous trois de la guitare et chantent. Ils se font inscrire dans la même école et fondent leur premier groupe « The Three Masons ». En Novembre 79 sort leur premier single « The Wall », avec son entêtant refrain « brick by brick another wall in the house ». Un titre pop dans la lignée de leurs héros les Bee Gees. Malheureusement la même semaine le très attendu nouvel album de Pink Floyd « The Wall » fait une entrée fracassante dans le top ten. Les garçons se consolent en écumant le circuit des pubs en trio acoustique.

 

Alors qu'ils jouent en première partie des « Feelgood Flyers », ils font la connaissance de Bob Greystone (de Sheffield/Tasmanie) le road manager des Flyers plus connu dans le milieu sous le sobriquet de « Taz ». Bob est fortement impressionné par la prestation des Three Masons, particulièrement par leurs harmonies vocales. Avant de traîner à Londres, Greystone avait vécu à New York où il écrivait les arrangements vocaux de « Harlem Transfert », groupe pour lequel il avait composé quelques tubes (Engineer, Canzon de amor) avant de se faire virer pour avoir fauté avec toutes les femmes de tous les membres du groupe. Il a cinq ans de plus que les frangins, une petite carrière qui n'avance plus, il leur propose une association de talent et parle de monter un vrai groupe, de son carnet d'adresses et de ses connections outre-atlantique. Les gamins bichent, et pour prouver son efficacité Taz débauche le soir même Chris Nightingale (ex-Rolling Sponges, ex-Pumice Stones) le batteur des Feelgood Flyers, dont la frappe puissante et carrée s’accommode de plus en plus mal des fumeuses errances des Flyers.

 

Ils enregistrent à cinq (Greystone à la basse, un de ses nombreux talents) 10 titres au studio Rockfield sous la direction de Dave Edmunds. Malheureusement après une soirée chargée ils oublient la bande master dans un taxi et malgré de longues recherches et de nombreuses annonces, elle reste perdue pendant des années. Quelques titres d'une excellente pop à guitares (Hold Me In Your Hams, The Fox Tail Tales et Joe's Bloody Mary) sortiront sur une compilation grecque en 1999 sous le nom de « The Five Bees ».

 

 

L'anecdote du taxi peut faire rire mais à l'époque la perte de l'enregistrement provoque un clash au sein du groupe. Les deux frères aînés (de peu) Larrie et Mick (reprochant à Bob et Chris leur mauvaise influence sur leur « jeune » frère Frank qui aurait entraîné l'oubli de la bande) quittent le groupe pour fonder « The Elderly Brothers » et jouer dans les pubs des reprises des frères Everly. Les trois autres recrutent le bassiste Alan Harbour (dont l'orchestre the Clamour vient de se séparer après avoir accompagné Brian Porker sur scène comme en studio des années durant) pour remplacer Greystone qui passe à la lead guitar et aux harmonies.

 

Ils nomment cette nouvelle association « The Architects » et enregistrent une composition de Bob et Frank, « What's so funny (about fish, chips and beer drinking) » qui sort en single et leur permet de tourner en première partie de Squeeze, The Beat et même Madness. Leur 45 tours est « single de la semaine » chez John Peel et les garçons pensent leur heure venue.

 

En rentrant d'un concert, tôt le matin, la camionnette du groupe, piloté par Alan, renverse une vieille femme et écrase ses sept Yorkshires d'un seul coup. Délit de fuite. Malheureusement, la femme, Lady Carnavon, épouse de Lord Cédric Carnavon, patron du Morning Observer, a eu le temps de lire le nom du groupe peint en grosses lettres rouges sur les flancs du minibus. Scotland Yard a tôt-fait de retrouver les auteurs du forfait, qui vont devoir subir les harassements de la police ainsi que ceux d'une presse déchaînée qui les décrit comme de chevelus hooligans sans coeur et leur propose de renommer leur groupe « The Dog Crushers » ou « The Poodle Smashers ». Ils évitent la prison grâce à un arrangement financier avec les Carnavon, mais l'affaire les laisse sans le sou et avec une très mauvaise réputation auprès du public.

 

Si la fin des années 80 et les années 90 sont maigres du point de vue musical, leurs vies personnelles sont beaucoup plus intéressantes. Mais ce n'est pas le genre de la maison de ragoter, alors on se bornera à signaler que certains restèrent dans un état de stupeur, d'autres se marièrent, eurent des enfants, divorcèrent, eurent des maîtresses, se désintoxiquèrent, la vie. Une anecdote tout de même, les retrouvailles des trois frères Mason. Frank a une petite amie et son nom c'est Summer, Summer Wind. Elle est très hot, Summer Wind, et sous prétexte d'anniversaire, elle entraîne son fiancé à une soirée "chippendale". Le clou du spectacle est l'effeuillage torride de deux apollons chantant une version vaguement discoïde de "Dream Dream Dream" des Everly Brothers. Ils sont tombés bien bas. C'est ce que se dit Frank en reconnaissant Larrie et Mick. Puis voyant Summer jeter sa brassière au visage de ses frangins il se dit qu'il n'est pas monté beaucoup plus haut et qu'étant sur un pied d'égalité, ils pourraient bien avoir des choses à se raconter. Quand les hommes parlent les femmes se taisent ! Summer, qui n'était pas du sérail, ne se conforma pas à l'adage et fut rapidement exclue de la liesse fraternelle. Elle disparut de la vie de Frank sans avoir retrouvé sa brassière. Merde !

 

Les frères Mason se retrouvaient enfin ! Après un repas copieusement arrosé, des décisions sont prises : on rejoue ensemble et l’on appelle le groupe "The Architects of Misfortune" (avec la guitare et la voix, l'humour est une valeur commune à la fratrie). Frank propose de rappeler Taz, Alan et Chris pour compléter le line-up. Pas si simple, ils ont quitté l'humide Albion et vivent désormais en France près de Nantes où Taz, qui a épousé une autochtone, gère un studio d'enregistrement et Alan et Chris jouent avec diverses formations locales tout en s'occupant d'un petit domaine viticole. La belle vie, aux yeux des Mason, qui abandonnent les brumes londoniennes pour la douceur ligérienne et l'acidité du muscadet. Les retrouvailles se passent à merveille, les bars locaux sont accueillants. The A of M travaillent si dur que Alan et Chris en oublient quelque peu la vigne et le vin et se retrouvent le bec dans l’eau car le mildiou s’est attaqué à leurs ceps. Ils n’ont rien à vendanger donc rien à vendre.

 

 

 

Une crise des liquidités se profile. Les affaires de Greystone ne sont pas mauvaises (Roberto Dogoli , Crouton/Fichet, La Bouche Aveugle, Samuel M’Wémonben, Les Small Discoverers, tous sont passés par le studio Stonedlands de Bob avec le succès que l’on connaît.) Mais il ne peut subvenir aux besoins de tout le monde.

 

Les frangins ont une idée : du liquide ça se siphonne. La passion de Chris pour les sports mécaniques et les courses de cotes (il fut champion régional trois années consécutives) lui ont permis de connaître parfaitement toutes les routes et tous les bourgs du vignoble. Il a tôt-fait de repérer un chais isolé que nos six compères vont vider grâce à un camion-citerne emprunté au beau-frère de Bob. 20 000 litres de muscadet ! Pas facile à stocker. On ne peut pas mettre grand chose dans les cuves du Domaine ALIS : en cas d’enquête, les commérages des voisins pourraient leur nuire. Mieux vaut ruser pour éviter le ballon.

 

C’est dans les cuves à mazout et les réservoirs d’eau désaffectés attenant au studio de Greystone (installé dans une ancienne tenue maraîchère) que les lascars vont dissimuler leur butin qu’ils comptent refiler petit à petit comme un vin exceptionnel aux restaurants chics de la côte : la cuvée Terre de Pierres. Le plan est parfait mais le liquide acide.

 

Alors que Larrie met une dernière main aux guitares de « White wine fever », le mur du fond du studio change de couleur et brusquement la pièce est envahie par un flot odorant qui ruine immédiatement les circuits électriques, le matériel d’enregistrement et les espoirs du groupe. Ils avaient 11 chansons dans la boîte, un album complet ! Leur premier opus vient de disparaître à jamais avec le studio Stonedlands et 20 000 litres de vin (qui n’était sûrement pas un velours pour l’estomac).

 

Moral et finances sont au plus bas. Alan, que ses origines sud-africaines travaillent toujours un peu, va même jusqu’à consulter le professeur Mustapha Ekédi, spécialiste du retour rapide de la fortune et de l’être aimé. « Tu vois, chef, ça y est, c’est fini, le destin en a terminé de ton malheur, ais la patience du lion et tout va s’arranger ». En attendant, Bob vend ce qui reste de son studio et pour réduire les frais, tout le monde emménage sur le domaine de Chris et Alan. Ça vivote, élevage d’escargots, mariages et fêtes privées.

 

Le 17 Mars 2006 à 9 heures 30, un coup de sonnette réveille la maisonnée. C’est Maître Jaunatre, notaire à Nantes, commissionné par Engulf and Deavour Ltd, qui, après de longues recherches, vient de retrouver les frères Mason afin de leur remettre les dividendes qui leur reviennent au nom de la succession Mason (les mystères du testament de Pop !). Les autres ayant droit ayant tous prématurément disparus (les gens de Végas ont la rancœur tenace) la rente qui leur revient est annuelle et très très confortable. Joie innéfable, biture incommensurable ! The A of M sont sauvés ! Des années de malédiction mises à mal d’un coup de sonnette magique !

 

Bob et les frangins composent et remonte le studio tandis que Alan et Chris embauchent Loulou « j’ai soif » Charbonnier pour prendre en charge le vignoble. Le résultat de cette renaissance n’est pas seulement la délicieuse cuvée Terre de Pierres que vous pouvez déguster aujourd’hui, c’est surtout le premier vrai album de The A of M que vous allez pouvoir écouter et qui vous coulera dans les oreilles aussi plaisamment que le Terre de Pierres dans le gosier.

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